mardi 28 juillet 2009

A BOUT DE SOUFFLE - 1959







En 1992 pour l'émission "Cinéma, cinémas", Claude Ventura s'installe pour une semaine à l'Hôtel de Suède, quai Saint-Michel, dans la chambre 12 où 33 ans plus tôt Jean-Luc Godard a tourné "A bout de souffle".
Il faut faire vite pour mémoriser une dernière fois l'endroit avant que n'entrent en scène les engins de démolition. La chambre est minuscule, le lit en occupe l'essentiel du volume. Il faut pratiquement l'enjamber pour aller de la porte à la fenêtre. L'équipe technique en est réduite à patienter sur le palier pendant que Godard et Raoul Coutard (à la caméra) filment le couple Jean Seberg-Belmondo.
L'été 1959, Godard tourne en quatrième vitesse et sans scénario, son premier long métrage avec la caution morale auprès du producteur Georges de Beauregard, de Claude Chabrol et François Truffaut qui a inspiré l'histoire à partir d'un fait divers piqué dans France Soir.
Godard écrit les dialogues au fur et à mesure, s'arrête parfois au bout de deux heures de tournage, ferme son cahier et annonce que c'est terminé pour la journée, il n'a plus d'idées.
"A bout de souffle" réalisé dans les rues de Paris au milieu des gens, un héritage du néo-réalisme italien, sans souci des raccords, va installer le cinéaste auprès de la profession comme un fou avec qui il ne faut pas travailler. Cette "mauvaise réputation" (dixit Belmondo qui ajoutera avoir eu la chance de faire les plus beaux films de Godard), va au contraire le servir, et quatre ans plus tard, c'est un réalisateur célèbre – les autres avaient du talent, lui du génie – qui entreprend à Capri, dans la villa de Malaparte, le tournage du "Mépris" avec une l'icône Bardot, l'actrice la plus photographiée au monde, cernée par les paparazzi perchés sur les rochers alentours.
Elle avait été dans "Et Dieu créa la femme" celle qui avait frappé les trois coups de la Nouvelle Vague. Sa liberté de jeu fascinait la jeune critique. Avec Bardot en objet et Fritz Lang en réalisateur, plus la musique envoûtante de Georges Delerue, c'est le cinéma qui est au centre du "Mépris" et les sentiments son sujet.
Jean-Luc Godard voulait faire son film avec Brigitte Bardot. Le livre d'Alberto Moravia n'est donc qu'un prétexte à montrer l'objet de son désir. Et cette façon qu'il a de filmer Bardot, à la fois naturelle et mystérieuse, avec sa voix traînante (dans le savoureux questionnaire à Piccoli sur certains endroits intimes de sa personne), imposant un style et un ton "JLG", telle qu'on ne la filmera plus jamais ainsi.« Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs », dit le réalisateur dès le générique (sans générique) citant André Bazin, le "père" spirituel de la Nouvelle Vague.
Des désirs et des rêves, dans une perpétuelle fuite en avant, qui se transforme en cavale tueuse. Celle de Bardot s'enfuyant avec Jack Palance dans une Alfa Romeo rouge sang. Celle de Belmondo dans "A bout de souffle" tombant sur le pavé de la rue Campagne Première ("Tu es dégueulasse", dit-il à Jean Seberg avant de mourir). Avec Anna Karina dans "Pierrot le fou": « Qu'est-ce qu'on fera ? demande Marianne à Fernand.- Rien, on existera.- Oh là là ! Ce sera pas marrant ! » A l'hôtel de Suède, Claude Ventura appelle chez lui Jean-Luc Godard pour quelques questions sur "A bout de souffle". « Vous rêvez... » lui répond Godard, qui raccroche aussitôt.






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